Recherche d’équité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : comment la fiscalité peut-elle aider?

Par Pritha Mitra, économiste principale au Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI
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Le 8 septembre 2015

Les aspirations de la population à une plus grande équité ont été au cœur des revendications à l’origine du Printemps arabe il y a près de cinq ans, et elles demeurent en grande partie insatisfaites à ce jour. Dans notre dernière note de réflexion, nous montrons qu’une réforme de la fiscalité peut considérablement contribuer à répondre à ces aspirations.


La fiscalité est une interface essentielle entre l’État et ses citoyens. Les montants de recettes mobilisés, la répartition de la pression fiscale et les modes d’application du régime des impôts sont autant de facteurs qui peuvent avoir une forte incidence à la fois sur la réalité économique et sur la perception qu’en ont les citoyens — et sur leur niveau de confiance dans les pouvoirs publics.

Les régimes fiscaux varient considérablement d’un pays à l’autre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : dans certains pays (importateurs de pétrole, et Algérie, Iran et Yémen), ils sont développés et diversifiés; dans d’autres (principalement exportateurs de pétrole), les recettes fiscales proviennent essentiellement du pétrole. Dans les deux cas cependant, il reste encore une grande marge pour améliorer l’équité à la fois pour les particuliers et pour les entreprises, par le biais de la fiscalité.

Conception du régime fiscal : un outil de promotion de l’équité dans les régimes diversifiés

Dans un grand nombre de ces pays, les régimes fiscaux sont bien établis mais souvent appliqués de façon arbitraire et taillés sur mesure à l’avantage des privilégiés.

Le taux supérieur de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, par exemple, est souvent faible et appliqué à des revenus si élevés qu’il ne touche pratiquement personne; en conséquence, les riches ne paient probablement pas leur juste part en comparaison à la pression fiscale subie par la classe moyenne.

Les entreprises sont imposées à des taux comparables à ceux d’autres régions, mais dans de nombreux pays, certaines sont privilégiées et bénéficient d’exonérations peu transparentes et souvent appliquées arbitrairement. Les exonérations nuisent aux taxes sur la valeur ajoutée (TVA) au même titre que l’existence de taux multiples. Enfin, il existe une corrélation entre la lourdeur de l’administration fiscale et un traitement inéquitable des citoyens et des entreprises (graphique 1).

Qu’est-il possible de faire? Moyennant quelques changements stratégiques dans la conception des régimes fiscaux, il est possible de faire une vraie différence, notamment d’améliorer l’équité, de placer les entreprises sur un meilleur pied d’égalité, et de limiter les possibilités d’application arbitraire de la législation fiscale. Notre note de réflexion propose de :

● Simplifier les barèmes fiscaux en unifiant les multiples taux de TVA et en réduisant le nombre de taux d’imposition des entreprises.

● Élargir l’assiette des impôts en éliminant les exonérations de l’impôt sur les bénéfices des sociétés et en réduisant et en ciblant mieux les exonérations de TVA.

● Accentuer la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, avec trois à quatre taux qui augmentent proportionnellement aux revenus et s’appliquent à tous types de revenus (non seulement aux salaires, mais aussi aux revenus des investissements), pour assurer que les ménages aisés paient une part équitable.

● Instaurer ou améliorer des taxes foncières et veiller à leur application.

● Rendre les administrations fiscale et douanière plus conviviales en améliorant le «service client» et en simplifiant les codes et règlements.

Commencer du bon pied : créer un régime fiscal équitable
dans les pays dépendants des recettes pétrolières

Les pays exportateurs de pétrole qui dépendent des recettes pétrolières n’ont pas vraiment eu besoin d’instaurer d’autres impôts. Mais l’éventualité d’une persistance de faibles cours du pétrole change la donne, car pour de nombreux pays les recettes pétrolières ne suffisent plus. Élargir le régime fiscal leur permettrait non seulement d’augmenter leurs recettes, mais aussi d’accompagner une diversification à long terme de leur économie.

Ces pays pourraient commencer progressivement par un «programme de démarrage», consistant en une TVA à faible taux, des impôts sur les bénéfices appliqués à toutes les entreprises résidentes, des droits d’accises et des taxes foncières. Il leur faudrait parallèlement bâtir leurs capacités administratives et leur savoir-faire fiscal. Enfin, pièce maîtresse de tout régime fiscal moderne en faveur de l’équité, ils pourraient commencer à planifier l’instauration d’un impôt généralisé et efficient sur le revenu des personnes physiques.

La volonté politique devra être au rendez-vous

Tout cela peut paraître simple en théorie, mais dans la réalité, une forte résistance s’élèvera contre ces réformes. Les dirigeants de tous les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devront surmonter les intérêts acquis, veiller à l’adhésion générale de leurs populations, et réformer des administrations fiscales probablement peu disposées à changer. Pour réussir la réforme fiscale, il sera primordial d’assurer une communication efficace et transparente et d’entretenir un dialogue constructif entre l’État et ses citoyens.

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Pritha Mitra est économiste principale au Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI. Elle dirige les travaux de surveillance régionale pour les pays importateurs de pétrole de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN) et est responsable de la formulation de conseils en matière de politique budgétaire et de potentiel de croissance à moyen terme pour l’ensemble des pays de la région. Dans ses précédentes fonctions au FMI, Pritha Mitra a travaillé sur plusieurs pays émergents d’Europe en crise et sur des pays émergents et à faible revenu d’Asie et d’Afrique, ainsi que sur l’élaboration de politiques pour les pays à faible revenu. Auparavant, Pritha Mitra a également été experte principale en prix de transfert chez Arthur Andersen à New York et est titulaire d’un doctorat en économie de l’université Columbia.



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